Ça y est, il rentre d’Opex, la date est sûre, ou presque, moi la « Mili Wife » je peux lancer avec une excitation non dissimulée le compte à rebours…:
• J-7, je fais le grand ménage version « tornade blanche »,
• J-2, je m’occupe de moi, beauté, coiffure, esthétique, soin du visage, tout est envisageable,
• H-10, et pourquoi pas une nouvelle tenue…?
• H-3… mon palpitant s’emballe,
• H-…IMPACT ! Me voilà dans ses bras. Rassurée, comblée, entourée et surtout soulagée, désormais je ne suis plus seule…

On se dit souvent, l’avantage d’être séparés c’est de se retrouver encore, encore, et… Encore.
Dans notre cas, c’est plutôt toujours.
Comme un éternel recommencement !
Et c’est bien vrai. Au final, quel plus doux plaisir que de vivre des retrouvailles, l’un des seuls points positifs à vivre des départs… Quel bonheur de se redécouvrir après une si longue attente avec son lot de difficultés. Car après l’inquiétude, le manque de l’autre, la fatigue, le stress liés à la gestion de la maison, des enfants, parfois même de la grossesse ou de l’accouchement seule… Nous sommes si heureuses de voir notre binôme de retour, celui qui nous comprend, prêt à nous soutenir et nous prêter main forte pour affronter ce quotidien si harassant.
De notre point de vue, il est évident qu’il est de retour, avec nous, pour nous et qu’enfin il va se consacrer exclusivement à nous. La page OPEX, est définitivement tournée (jusqu’à la prochaine).
Pourtant, l’expérience nous apprend que de son côté les choses sont sensiblement différentes.
Les premiers temps, voire les premières heures, il est tout sourire, partage visiblement et sincèrement le bonheur général. Il nous raconte tout ce qu’il peut nous raconter, tout ce qu’il ne nous a pas raconté.
En parfaite femme de militaire, nous prenons le temps d’écouter. Nous ravalons nos propres émotions pour lui laisser le champ libre. On se doutait bien que derrière les « tout va bien » bien trop évasifs à notre goût, il s’est passé des choses qu’aujourd’hui il essaye de partager.
Rectificatif « On se doutait », je dirais plutôt on le savait, on l’a ressenti, tant de fois, le soir, la nuit, quand nous ne dormions pas, seule, face à nos angoisses. Alors, on le laisse entrer dans une phase de purgation en quelques sortes.
Quand on écoute les témoignages de certaines femmes, toutes s’accordent à dire que les premiers jours sont parfaits. C’est certain ensemble, en famille, à deux, en tête à tête, les yeux dans les yeux et certainement plus les yeux dans Skype ! (On se plait d’ailleurs tellement à oublier ces fichus mots de passe pendant un temps.)
Mais voilà, passées les retrouvailles, après la romanesque phase du « retour de notre héros », on se retrouve confronté au « double effet kiss cool ».
Notre « héro » déchante et nous avec lui. Ce qui interpelle rapidement, c’est la rigueur ou plutôt la psychorigidité dont ils font preuve, ils sont en mode « zéro empathie ». Il faut être carrés, au taquet, ponctuels, rythmés et cadencés.
Pas de place pour les tergiversations, nous devons être en permanence dans l’action et même dans l’exécution des ordres et des volontés.
Au début, on ne dit rien. Personnellement dans ces cas là, je me disais, « il vient de revenir, il faut lui laisser le temps de se réadapter, se réhabituer à nous (les civils)». Mais face à son exigence à laquelle je ne pouvais répondre tellement elle frôlait l’irréalisable, j’ai commencé fatalement à, comme qui dirait, me « rebiffer ».
Alors dès que j’ai eu « une fenêtre de tir » je me suis lâchée : Il venait d’arriver, il ne pouvait en exiger autant de nous si vite et si abruptement ! C’était injuste après tout, il n’avait pas le monopole de la difficulté de l’OPEX, nous étions TOUS concernés, tous affectés par ses départs à répétition.
Il fallait qu’il nous laisse du temps à nous aussi ! Certes nos préoccupations paraissent dérisoires comparées à celles qu’il a eu et ce qu’il a vu ou vécu, mais elles sont réelles ! Lorsque, par exemple, nous devions aller quelque part, si nous étions ne serait-ce qu’un peu en retard alors le couperet tombait de manière tranchée : c’était un coup de colère garanti.
A l’inverse quand je lui demandais de participer à des activités qui font le quotidien d’une famille, il s’y refusait : Après des mois passés à exécuter les ordres, il avait besoin de se retrouver et ne supportait pas qu’on lui impose un quelconque rythme. Ou bien, il acceptait de bon cœur pour après s’enfermer à nouveau «dans sa bulle de sécurité » comme je l’ai baptisée : c’était « fin des émissions ».
La vie peut parfois nous prendre de court, une autre femme me confiait récemment à quel point elle était heureuse que son mari puisse rentrer à temps pour l’accouchement de leur enfant, mais que pour autant elle avait vécu des moments compliqués. Il avait été très difficile pour son mari de vivre pleinement sa fin de grossesse et son accouchement : « Il était encore avec ses frères d’armes, là bas, en OPEX ».
Tout était allé trop vite, il y avait bien trop de sentiments contrastés, trop de différences entre sa vie de là bas et celle d’ici. De retour, avec une différence de température de 40 ° en à peine 12h, il arrivait pour devenir papa pour la première fois. Même s’il s’était préparé, elle l’avait « un peu perdu en route » dans ce tsunami d’émotions.
Ces retours peuvent devenir blessants pour nous qui attendons si longtemps. Nous idéalisons souvent les retrouvailles.
Nous sommes dans l’expectative, et il arrive que nous soyons déçues. C’est certain, si vous êtes de nature romantique à outrance comme moi, alors vous imaginez des retrouvailles dignes d’une série B où tout se passe au ralenti sur fond sonore de BO de Twilight et ça jusqu’à des mois après la date retour ! Je vous dirai alors « grossière erreur ! ».
Force est de constater que leurs préoccupations ne sont plus les mêmes. Ils ne reviennent pas d’un club de vacances ou d’un séjour linguistique en Grande Bretagne et nous devons en prendre conscience pour affronter cette réalité du retour.
Pour cette femme, quant à elle, elle avait du gérer l’intérêt de son mari vis à vis des personnes qu’il avait laissé derrière lui. Au final, elle avait beau être enceinte , avoir porté son enfant pendant des mois sans lui, ce qui le préoccupait, c’était ces personnes qu’elle ne connaissait guère, qu’il avait côtoyé pendant quelques mois qui finissaient par avoir plus d’importance qu’elle la future mère de son enfant…
On nous répète souvent « soyez patientes, mais n’hésitez pas à noter et à lui faire remarquer si certaines choses vous interpellent…».
Malheureusement, nous ne sommes pas psychologues. Nous faisons avec ce que nous pouvons et ce que nous avons lu pour les plus curieuses d’entre nous. Mais au final c’est l’expérience qui prime. On ne vit et gère jamais les conséquences d’une OPEX comme une autre.
Il n’y a pas de « guide du retour du soldat » avec 15 règles fiables à suivre en toutes circonstances !
Selon l’endroit, la durée tout peut être radicalement différent. Quant à notre entourage aussi bienveillant soit-il, il ne réalise pas. Il nous ramène souvent au sentiment de manque pendant l’OPEX : « Oh ma pauvre, il doit te manquer (…) je ne pourrai pas vivre cela », mais savent-ils seulement ? Moi non plus je ne peux pas vivre ça, la réalité me l’impose ! Savent-ils que pour certains départs le manque serait un moindre mal ? Savent-ils que nous avons peur pour eux ? Que nous épluchons l’actualité de pays qu’autrefois nous peinions simplement à localiser sur une carte ? Savent-ils seulement qu’à chaque retour nous aimerions un peu plus de leur part qu’un : « ça va maintenant, tout va bien, il est de retour ». Savent-ils que nous sommes avant tout soulagées de les récupérer « indemnes » ?…
Pourtant, il y a des blessures qui restent invisibles et pour certaines d’entre nous, c’est à notre tour de combattre. Combattre ses souvenirs, ses traumatismes éventuels et faire avec ses nouvelles humeurs…
Je disais un jour à mon conjoint à chacun de tes retours tu laisses un peu de toi là bas, heureusement tu finis au bout de quelques temps par revenir à toi, mais c’est à ce moment précis que revient le temps de repartir…
La Mili Wife
